Je contemple mon reflet dans le bleu miroir de l'eau.
C'est un samedi matin fripé.
A 30 ans, il est des jours où vous en paraissez 20. D'autres 40.
C'est un âge étrange qu'il convient d'apprivoiser un peu.
Surtout lorsqu'on pratique l'introspection de manière obsessionnelle.
A chacun sa façon de devenir l'esclave de ses propres démons.
Elle vient de partir.
J'entends le claquement de ses sandales s'éloigner dans la ruelle.
Juste avant elle a effleuré la commissure de mes lèvres en déposant doucement sur ma joue un baiser.
On ne m'avait jamais embrassé de façon si érotique.
Un instant j'ai failli la retenir par la taille.
J'ai senti son souffle parfumé m'inviter à en rester là.
Je songeais à ces dernières heures où tout avait semblé si simple.
La simplicité n'est pas précisément ce qui me caractérise le mieux.
Je passe une grande partie de mon temps à en perdre.
Examiner à la loupe les coutures de mes possibles choix.
Peser le contre, rejeter le pour.
Par trouille plus souvent que par pragmatique objectivité.
Dans ce cas par exemple.
Franchir la ligne qui ne nécessitait qu'une pichenette du doigt a pris des allures pitoyables de traversée de l'océan à la nage.
Avec pour seul compagnon de route, l'aileron du doute traçant ses cercles parfaits autour de moi.
Je pense trop avant d'agir.
Il y a longtemps, j'ai compris qu'on ne pouvait être perpétuellement dans le contrôle.
Maitriser le lâcher-prise me demande plus d'effort.
Je contemple chaque brisure qui me hante et je pense au no mad's land des regards qui déchantent.
Quelqu'un a dit: "Dans une société totalement saine, la folie est la seule liberté."
J'aime sa folie discrète qui contraste si fort avec l'idée que se font la plupart des gens de la liberté.
Lorsque je l'ai aperçu, j'ai eu la sensation pressante de devoir aspirer le nectar de la délivrance d'un trait pendant une courte saison.
Et cette incision lente et profonde dans mon plexus crispé.
Elle a décidé pour deux.
Avec la spontanéité légère qui la caractérise si bien, ses yeux souriants ont traversé mes hésitations sans équivoque.
Plus tard, j'observe le chargement entier de peaux rougies, tassées sur la dernière navette.
Le 17H20 bat pavillon arrière pour s'en retourner vers le continent.
Le ressac soudain agitant les flots, arrache à la mer un grondement sourd et régulier alors qu'on la réveille d'une sieste plane,
L'illusion du bonheur parfait n'a pas duré plus de 8 heures. Autant dire une éternité.
Le bleu turquoise croise le sombre nuit et le vert parsemé d'écume légère. La beauté de reflets nacrés sur l'eau translucide me renvoie à ma propre condition de passager en transit entre le rien et le rien.
Au cours de l'étape touristique en laquelle consiste la vie, j'apprends laborieusement à composer avec mes contradictions profondes labourées d'incertitudes. En espérant que le temps y sera clément.
Aujourd'hui, il a fait beau.
Je referme la fenêtre.
Je laisse en dehors le réel. Tous ces espaces clos à la cire des auto-censures.
Je rejoins mon alcôve spiritueuse.
Jusqu'à l'été prochain.